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SEUIL  Corniche des Maures


C'est une tradition française bien ancrée : l'institution confie à des photographes le soin de poser leur regard sur le territoire dont elle a la charge. Mais de la première Mission Héliographique (recensement des monuments du patrimoine, en 1851) à la Mission photographique de la Datar en 1980, le rôle du photographe a évolué notablement : alors qu'il était principalement en charge d'un inventaire documentaire, voilà qu'il est considéré comme un artiste libre d'interpréter son sujet. Et c'est précisément sa subjectivité qui devient le point d'intérêt de l'institution.
            Si les grandes missions sont à l'échelle du pays entier, des portions plus réduites du territoire  peuvent aussi générer des projets photographiques. Ainsi, le Conservatoire du Littoral, établissement public dont le but est de protéger les côtes en acquérant des terrains préservés de l'urbanisme galopant, a-t-il donné une carte blanche à Edith Roux pour photographier la Corniche des Maures, rivage varois situé entre les communes du Rayol et Cavalaire.

            Pour élaborer sa vision du paysage, Edith Roux s'est appuyée sur une autre tradition photographique, celle du panoramique. Le panorama n'est pas seulement un paysage : c'est aussi le nom d'une attraction qui se développe à la fin du XIXème, au moment où l'industrie du spectacle est en plein essor. Le public pénètre dans une rotonde pour découvrir une scène à 360° (peinte, mais dont les premiers plans sont constitués d'objets réels). Batailles, vues touristiques et scènes religieuses en sont les sujets privilégiés. Le panorama pourrait sembler un loisir inoffensif. Il traduit pourtant une volonté sociale et politique : celle de spectaculariser le monde et de mettre l'individu dans une position de spectateur omnipotent ; celle aussi d'affirmer la maîtrise totale du visible. Tout est à voir, tout est accessible, le monde est à posséder et à contrôler. A la même époque, l'expansion coloniale se base à peu près sur les mêmes idées.

            Ce sont ces idées que la photographe Edith Roux a voulu questionner à l'intérieur de ses panoramiques. Partir d'une approche documentaire rigoureuse, dresser une cartographie en images qui permettent au spectateur d'adopter différents points de vue (l'inverse de la vision autocentrée du panorama), rendre visible la frontière entre les zones protégées et celle ouvertes à l'urbanisation. Un regard exhaustif mais ouvert au balancement des vagues, aux courbes des crêtes. Un regard qui n'impose pas une vision unifiée mais qui la dissémine. Le document n'établit pas une vérité, il permet de construire une interprétation de la vérité. Il est l'objet d'interactions entre le territoire, l'artiste et le spectateur.

            Il faut alors détailler la façon dont les panoramiques ont été fragmentés. Observer quand l'image est raccord, quand elle chevauche la suivante, comment la découpe à l'intérieur du panoramique déconstruit le paysage. Ce travail de déconstruction rend le spectateur actif : c'est à lui de recomposer le paysage. Au milieu de l'exposition, deux images nous plongent encore plus dans les échanges qui existent entre paysage maîtrisé et paysage sauvage, mais aussi entre notre statut de spectateur d'images et celui d'arpenteur d'un territoire réel. C'est le seuil que les photographies d'Edith Roux peuvent nous aider à franchir.

                                                                                            
Bruno Dubreuil / Immixgalerie