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Ce qui frappe à la vision immédiate des images d’Edith Roux est bien leur composition picturale, appuyée par cette harmonie chromatique d’une telle évidence, que le calme apparent affiché par ces figurines humaines semble avoir été plaqué arbitrairement à la surface de ces décors trop paradoxalement séduisants et déserts. Ces habitants d’un monde passé sont donc transportés là, figurines hiératiques et silencieuses sans état d’âme, au milieu des ruines de leur culture, et respirent une espèce de présence intemporelle, qui réinjecte de la vie à chaque tableau photographique. 
De leur évocation intime nous ne saurons rien et ne garderons que cette impression dominante d’ocre et de marron des sols et des pierres, contrebalancée à la fois par les postures droites et minimalistes de ces Ouighours comme des statuettes sacrées, et par ces incrustations de morceaux colorés d’histoire: évocations survivantes fragiles devançant leur destruction prochaine. 
Dépossédés de tout, mais pas de leur dignité, tel ressurgit ce constat du monde intérieur de chaque individu devant sa maison, juxtaposé dramatiquement avec le décor objectif de l’histoire collective en route : sinisation à outrance qui broiera tout sur son passage, tels des tremblements de terre, qui auraient pu avoir été la cause de ces dévastations!
Et la frontalité brutale accentue encore une dernière fois la dimension d’icônes byzantines, laissant l’aspect sociologique de l’approche d’Edith Roux au second plan, et la place à une forme de méditation poétique, où notre regard est comme interdit, en apnée face à ces visions en déshérence, derrière lesquelles l’on pourrait déceler, comme ce miroir dans les décombres, la métaphore de l’acte photographique, fait d’absence et de disparition, seulement retenu par le fragile souvenir de papier.

Gilles Verneret